Le lâcher…

Le petit avion blanc et rouge s’est arrêté juste après avoir quitté la piste 18. Situé non loin du début de la 36, je ne distingue pas grand’chose. La verrière s’est ouverte et  une silhouette s’extrait du cockpit, elle reste un instant immobile sous l’aile, puis s’éloigne et le petit avion repart sur le chemin caillouteux.  Vent calme, dans l’axe, visibilité parfaite et personne en tour de piste… ideal  pour un lâcher. Depuis maintenant une vingtaine de minutes je suis les évolutions de l’ULM dans la chaleur moite de cette fin de mois d’août. La veille, à la même heure, ma fille m’a gratifié d’un  » pas terrible ton attéro  » à l’issue d’un vol effectué en duo … Gonflée tout de même la demoiselle ! Je souris tout seul mais la réalité reprend vite le dessus, le petit avion remonte le taxiway et ne tarde pas à passer à quelques mètres de moi. Je me dissimule derrière un engin de chantier et tente  de distinguer l’intérieur du cockpit … Plus de doute possible, le siège droit est vide, bien vide, et en place gauche je perçois nettement Julie, casque sur la tête, attentive et le regard fixé vers l’avant. Rien ne semble pouvoir la distraire, je me tasse encore un peu plus derrière mon abri de fortune et puis je vois enfin le coyotte s’éloigner et  s’arrêter sagement au point d’attente de la 18. J’imagine Julie en train d’égrener les actions vitales,  » vitales  » prend  ici tout son sens !

Le régime moteur se fait soudain moins discret, l’avion roule vers la piste et s’immobilise face à elle… j’imagine Julie la main gauche sur la manette des gaz, et je ne peux m’empêcher de remonter le temps, cinquante ans en arrière… la piste ouest de Lille Bondues, le petit D-112 et mon père en bordure de piste.  L’émotion qui m’anime alors, le doute aussi devaient être identiques à ceux éprouvés par ma fille, des sentiments éprouvés par chaque élève pilote à ce moment crucial et qui nous relient  tous un peu les uns aux autres.

Le petit avion s’ébranle dans le fracas de son moteur, en quelques secondes le voilà en l’air, ça grimpe vite et ce n’est plus qu’un gros point qui vire déjà à gauche pour prendre la vent arrière. Deux sentiments paradoxaux m’animent à ce moment, celui du pilote, raisonné, pragmatique, après tout ce n’est que la suite logique d’une formation rigoureuse qui laisse peu de place au hasard, et celui du père, plus nuancé, la fragilité de cet objet volant, la solitude du jeune pilote face aux éléments … L’avion termine la vent arrière et commence à virer, bientôt il s’alignera face à la piste et reprendra contac avec le sol..Éternel recommencement de la même aventure tant de fois vécue. Je m’en vais retourner sagement au club et laisser ma fille savourer en solitaire ces moments qu’elle n’oubliera sans doute jamais.

JJB

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